L’ultime frontière

Après la victoire de Deep Blue sur Kasparov, puis celle d’Alphago sur Lee Sedol, on pouvait croire que tout avait été définitivement accompli en matière d’intelligence artificielle.

Lourde erreur ! Un dernier bastion restait à conquérir, et c’est une équipe de chercheurs du CERM qui vient de le faire tomber.

Dans son laboratoire secret, le Professeur Santamaria reçoit les reporters de rueil-echecs.com pour une interview exclusive.

« Professeur, vous nous avez convoqués pour nous faire part d’une découverte révolutionnaire…

– En effet, je le proclame : aujourd’hui est un grand jour pour la science ! Deep Blue, Alphago, tout ça, c’est bien mignon, mais ce n’est rien à côté de l’exploit que je viens d’accomplir avec mon équipe.

– Mais de quoi s’agit-il donc, Professeur ? Ne nous faites pas languir plus longtemps !

– Rien de moins que le test de Turing ultime : un programme d’échecs qui imite à la perfection le jeu d’Yves Lagache !

– Mais Professeur, pourquoi ne pas avoir plutôt développé un programme qui imiterait le jeu d’un grand joueur célèbre, comme Carlsen, Alekhine ou Nicolet ?

– Quel intérêt ? Tous ces joueurs ont bien sûr leur style propre, mais au fond, ils restent assez prévisibles. Ils jouent toujours plus ou moins le meilleur coup : d’ailleurs, on les compare souvent à des machines. Non, notre défi était autrement plus ambitieux car, dans une position donnée, qui peut prédire ce que jouera Yves, sinon, peut-être, lui-même ? Si un ordinateur parvient à jouer comme lui, plus rien ne séparera la machine de l’homme ! »

« Au début, tout semblait facile, continue le professeur. Nous avons nourri le programme avec des parties d’Yves trouvées sur internet et l’avons laissé improviser. Les premiers résultats étaient encourageants. Nous étions confiants, trop confiants. »

Le professeur n’hésite pas à solliciter la légende vivante des échecs, le grand Charles Nicolet en personne, pour tester son prototype. Mais ce premier essai va faire l’effet d’une douche froide, car le champion rueillois rend un verdict sans appel.

« Ce programme n’est qu’une grossière supercherie ! J’ai disputé des dizaines de parties contre le vrai Yves Lagache, et je ne reconnais en rien son style caractéristique !

– Mais, Grand-Maître, reconnaissez que ce programme ne joue pas comme les autres…

– C’est vrai, mais il lui manque ce mélange de savoir et d’improvisation, d’objectivité et d’aveuglement,  d’audace et de prudence, bref, cette imprévisibilité typique de ce joueur inimitable. Vous m’avez fait perdre mon précieux temps ! »

Déception
Fin connaisseur du style d’Yves Lagache, le grand Charles renvoie le professeur à ses études.

Après une telle déconvenue, beaucoup auraient abandonné leur projet. Mais l’équipe du Pr. Santamaria refuse de baisser les bras.

« Nous nous sommes remis au travail, d’arrache-pied. Nous avons repris toutes nos hypothèses, refait tous nos calculs… mais sans trouver la solution. Notre projet était dans l’impasse. »

Le Pr. Santamaria, au bord du découragement.
Le Pr. Santamaria, au bord du découragement.

 

« Cent fois, j’ai failli renoncer. Quand un soir, seul dans mon laboratoire, j’ai soudain eu une intuition décisive. Il nous fallait poser le problème différemment. Et pour cela, nous devions entrer virtuellement dans le cerveau d’Yves, afin de saisir ce qui fait la spécificité de son mode de pensée si particulier.  »

Eurêka !
L’intuition décisive

« Certes, le style d’un joueur est façonné par les livres d’échecs qu’il a lus et les parties qu’il a disputées. Mais que pèsent ces éléments, face à toutes les expériences qu’il a vécues, son éducation, son cadre de vie, son entourage ? C’est toutes ces influences qu’il fallait simuler. »

L’équipe du CERM se lance alors dans une recherche fébrile d’informations. Elle aspire sur le web tous les éléments disponibles sur les nombreuses vies du célèbre alternatif rueillois : discours politiques, photos souvenirs, oeuvres d’art, ouvrages de grands philosophes susceptibles d’avoir contribué à forger la personnalité du sage du Mont Valérien.

Quelques échantillons de données utilisées par l'équipe du Pr. Santamaria
Quelques échantillons de données utilisées par l’équipe du Pr. Santamaria

A chaque nouvelle donnée entrée, l’équipe sent que le jeu du programme se rapproche de plus en plus de celui de son modèle. Se sentant enfin prête, elle sollicite à nouveau Charles Nicolet, qui daigne disputer une nouvelle partie contre la machine… La partie s’engage, sous les regards anxieux des chercheurs. Les coups étonnants se succèdent, la position sur l’échiquier devient inextricable, et soudain Charles s’exclame :

Succès
Cette fois, c’est bien lui !.

 « Cette cohérence dans l’absurde, cette régularité dans l’aléatoire, cet ordre sous le chaos, c’est… c’est lui ! »

Le professeur et la légende des échecs se congratulent : la dernière frontière a été franchie !

Après un tel succès, beaucoup se seraient reposés sur leurs lauriers. Mais l’équipe du CERM n’entend pas s’arrêter en si bon chemin. Sous l’impulsion du trésorier du club, elle s’est immédiatement attelée au développement d’une version commerciale du programme, baptisée…

 

LogoGrâce à son appendice « plug and play » très seyant, dont la forme évoque le célèbre catogan de son inspirateur, Lagachess est facilement adaptable sur tout type de smartphone.

Avant Après
Avant…                  et après Lagachess

Les premiers essais de l’application, réalisés sur un échantillon de volontaires sains  habitués du samedi après-midi, ont été concluants.

Ainsi, Mike H. nous confie : «Quand je viens au club le samedi, je joue toujours contre les mêmes. J’en suis à la 847è partie de mon match contre Pierre T. Avouez que cela peut devenir lassant. Mais depuis que je suis équipé de mon Lagachess, j’ai retrouvé le plaisir de disputer une bonne partie d’échecs le samedi après-midi.

Au début, je dois reconnaître que j’ai été un peu désarçonné par son jeu original, mais maintenant que j’y suis habitué, je ne pourrais plus m’en passer. »

Mike
Le cobaye humain Mike dispute une partie de Lagachess

Guillaume L., entraîneur d’échecs : « Je sentais que l’attention de mes jeunes élèves commençait à décliner. Grâce à la fonction « Problèmes » de mon Lagachess, directement inspirée des meilleures parties d’Yves, je stimule à nouveau leur curiosité. »

COUrs
Les élèves de Guillaume sont confrontés à un problème d’un type inédit.

Gilles B. : « Depuis ma victoire écrasante dans le tournoi interne, plus personne n’ose me défier au club. Grâce à mon Lagachess, je peux affronter Yves aux échecs à n’importe quel moment de la journée, à 7h du matin par exemple. Avouez que ce n’est pas donné à tout le monde. »

Gilles
Gilles a enfin trouvé un adversaire à sa mesure, disponible 24h/24..

Un progrès qui pose d’ailleurs des questions éthiques. Ne sommes-nous pas en train de jouer aux apprentis sorciers ? Est-il sain de créer artificiellement une situation qui n’aurait aucune chance de se produire dans la nature ?

Des questions que Marc H., trésorier du CERM, balaie d’un revers de manche : « Priorité au business ! Grâce aux royalties dégagées par Lagachess, les finances du club seront bientôt florissantes ! Selon mes prévisions, nous pourrons engager une nouvelle équipe en N5 dès la saison prochaine. Et, qui sait, peut-être même fêter la fin de saison avec le Comité Directeur au kebab sur la N13 ».

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En businessman avisé, Marc a tout de suite senti le potentiel de la découverte.

Portée par ce premier succès, notre équipe travaille déjà sur de nouveaux projets : Lucachess, dépourvu de bibliothèque  d’ouvertures, mais qui vous mystifie en finale ; Dugchess, qui n’essaie pas de gagner mais résiste pendant des heures sans qu’on puisse l’éteindre ; sans oublier Bergchess, qui vous remet un reçu en échange de chaque pièce capturée.

Mais nos chercheurs préfèrent rester discrets sur ces nouveaux projets, par crainte que leur initiative ne donne des idées à des clubs concurrents. Ainsi, on murmure que le Grand Echiquier d’Asnières préparerait la sortie prochaine d’un programme qui ne joue qu’avec les Blancs et propose nulle au douzième coup.

7 Comments

  1. Excellent ! j’ai beaucoup appris sur le noble jeu et ses héros…. Je recommande l’article et le Lagachess

  2. Bravo pour ce reportage passionnant .Le téléphone ne cesse de sonner pour savoir ou le Lagachess est disponible?
    Je propose un achat massif par le club afin de faire bénéficier tous les membres du CERM.

  3. L’intelligence artificielle mise à la portée de tous grâce au Lagachess ! Quel progrès..

    Bravo au Professeur, à son équipe de cobayes intrépides et bien sûr au reporter.

    Pierre

  4. En tant que secondants de Magnus C., Bastien D. et moi-même avons un nouvel outil parfait pour préparer le prochain match qui l’opposera à Sergueï K.

    Néanmoins, mon français n’étant pas parfait, je n’ai pas compris quelques phrases de votre article, monsieur Bertrand D. :
    1/ Serait-il difficile de jouer contre monsieur Yves L. vers 7h00 du matin ?
    2/ La première position dans laquelle le champion Nicolet a débusqué la machine semble évidente à résoudre : mat en 3 coups pour les deux camps, à condition de jouer à cloche-pied.
    3/ Je ne comprends pas l’engouement de Jorge S. pour le coup de dame qu’il s’apprête à jouer, il n’y a à l’évidence aucune solution pouvant sauver les blancs dans sa position.
    4/ Une équation est fausse à la quatrième ligne du tableau situé derrière monsieur Jorge S. comme nous l’a fait remarqué le membre du FSB qui nous espionnait hier.
    5/ A quoi papi fait-il de la résistance ?

    Sincères salutations, tovarich

  5. « Une source interne chez Google confirme que la célèbre entreprise chercherait à modifier son célèbre algorithme de recherche sur la base des travaux du Lagachess pour le rendre plus humain. Las, l’expérience aurait tourné court quand l’algorithme aurait systématiquement proposé comme réponse : « je ne me souviens plus, pourquoi ne pas chercher sur Google ? »  »

    « sans oublier le célèbre Mosack Fonchessa et ses célèbres prises de pièces masqués systématiquement par des sociétés écrans. Pour les plus aventureux, la difficulté grand maître fait un « don » de 100€ à la croix rouge avec votre argent à chaque erreur.  »

    « Louis Chess qui capture les pièces en les guillotinnant »

    « Kroutchess qui divise l’échiquier en deux et empêche les pièces de passer de part et d’autre de la ligne de démarcation « 

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